ODILE s'en va, en toute discrétion...
Quelques fidèles, le reliquat de l'ancienne Direction Générale, des proches de son étage, réunis quasi clandestinement : c'est en toute discrétion qu'Odile nous quitte pour rejoindre le service des transports au Conseil général de la Mayenne, à quelques centaines de mètres. Nous sommes bien loin du raout prétentieux organisé pour Jean-Jacques Delory le 30 juin dernier.
Un tableau lui a été pieusement remis par ses fidèles.
La section UMP de la Mairie connaît donc une nouvelle désaffection, entre ceux qui sont partis ailleurs, ceux qui se font discrets, ceux qui sont partis à gauche ou qui clament qu'ils l'ont toujours été. Gérard, un fidèle, se sent désormais bien seul. Le poids de l'ancien système pèse de plus en plus sur ses épaules, et le 3 juillet, jour du CTP au cours duquel fut étudié le "bilan de la collectivité" (c'est à dire celui des 2 dernières années du système d'Aubert), il avait préféré partir en vacances la veille, laissant son adjointe présenter l'addition…
Mais revenons à Odile. Elle incarne vraiment l'ascenseur social au sein de la fonction publique territoriale : depuis le jour où elle servait les vins d'honneur à la mairie de Nantes, elle aura gravi tous les échelons de la fonction publique. Mais Laval, ce fut pour elle le jack-pot : En 4 ans, elle est passée d'attachée principale à directrice territoriale puis inscrite à la promotion interne sur la liste d'aptitude au grade d'administratrice au 1er février 2008, après une CAP (30 janvier 2008) de 7 minutes composée sur mesure de 2 de ses subordonnés, les représentants syndicaux ayant été écartés aussi bien de la réunion, que de l'accès au grade malgré leurs 15 ans d'ancienneté dans celui de directeurs. Laval est vraiment la capitale de la réalité virtuelle…
"Nos fonctionnaires ont du talent"…
C'était le nom d'une rubrique dans le journal du personnel "Laval Municipaux" ; tout ayant disparu, nous la reprenons.
Sous son air de miss anglaise au pair, Odile cache (bien) un être cultivé et sensible, et seule sa discrétion l'empêche de percer dans le monde littéraire. Hé oui, Odile écrit. Sa modestie dût-elle en souffrir, nous vous offrons, pour son départ, la nouvelle qui lui valut le 2ème prix du concours Stephen King et sa publication dans la revue "Ténèbres", alors qu'elle était à Asnières.
(Les illustrations sont de l'équipe du Vecteur) .
http://archives.arte.tv/cinema/king/ftext/2eprix.htm
GARDE MOI AUPRES DE TOI De Odile Nedjaaï ASNIERES Après plusieurs mois de chaleur oppressante, le métro tenait du four à pizza. Ma robe légère en lycra adhérait comme une bande à épiler à ma peau moite et je regrettais l'air climatisé du bureau que je venais de quitter. Je n'avais pu trouver de place assise et ma main droite accrochée à la barre cylindrique à laquelle je me tenais, mélangeait sa sueur à celle des millions de voyageurs qui m'avaient précédée. L'une des publicités fixées au-dessus des vitres vantait les mérites d'un savon liquide anti-bactérien : " Au moins 1.700.000 germes sur chaque barre cylindrique ! Passez une bonne journée !". Cette annonce me donnait la nausée et je vis avec soulagement se profiler le quai de la station " Astor Place ". Dehors, l'été indien dardait ses derniers feux sur New-York et l'air enfin ne brûlait plus les poumons. Je respirai à nouveau librement et traversai l'East Village en flânant dans les rues bordées de boutiques underground de fringues branchées, de piercing ou de tatouages. Comme souvent, je m'attardai devant une vitrine derrière laquelle une jeune femme se faisait tatouer un lézard sur l'épaule gauche. Le faisceau d'aiguilles qui entamait sa peau me fascinait. Je reculai lorsque le visage hiératique du tatoueur japonais se tourna vers moi. Puis je passai par le Tompkins Square où trois clochards cassaient la croûte assis sur un banc. Ils sortaient leurs sandwiches d'un sac en plastique imprimé du slogan en lettres rouges "I love N.Y " et jetaient quelques miettes aux écureuils peu farouches. Je pénétrai enfin dans l'avenue A d'Alphabet City, longeai les avenues B et C avant d'atteindre la limite de l'avenue D. Progressivement, l'atmosphère se modifiait. Les rues devenaient désertes, des tags, parfois très esthétiques, couvraient les murs, de hauts grillages entouraient de minuscules jardins, mi-terrains vagues, mi-dépotoirs. Quelques semaines auparavant, alors que je me baladais du côté de Canalstreet, j'avais acheté des friandises et quatre " fortune cookies " dans une pâtisserie chinoise. J'aimais ces petits gâteaux sablés qui contenaient une prédiction sur un fin papier de soie. La vieille femme au visage plissé comme un shar-pei qui me les avait tendus, m'avait dit dans un anglais approximatif, quelque chose comme " la vie est un arbre aux racines profondes ". Troublée par l'intensité de son regard et l'énigme de cette phrase, j'avais machinalement rangé les cookies dans mon sac et ce n'est que plus tard que j'avais déroulé les papiers qu'ils recélaient et qui représentaient un arbre du printemps à l'hiver. Je les avais trouvés jolis et les avais fixés sur le pense-bête aimanté de ma cuisine en me disant que ces Chinois savaient décidément allier le sens du mystère à celui du commerce. Je passai une partie du samedi matin à paresser au lit puis j'appelai Tim et sa froideur me blessa. Je sentais obscurément qu'il me fallait un dérivatif pour ne pas sombrer dans la dépression. Je sortis sans but précis et mes pas me conduisirent à la boutique du tatoueur japonais. Il était seul et me fit signe d'entrer. Il était d'une beauté intemporelle et dégageait une sérénité apaisante. Il me fit asseoir et me servit un thé vert fumant en m'interrogeant sur mon goût des tatouages. Je ne m'expliquais pas cette attirance, mêlée de répulsion, pour cet art antique commun à de nombreuses cultures. Tim m'avait ainsi raconté les curieuses pratiques des anciens marins américains, qui, pour échapper à la noyade, se faisaient tatouer un coq et un cochon sur les pieds. D'autres préféraient le tatouage d'un Christ sur le dos afin d'échapper à la flagellation de capitaines chrétiens qui ne pouvaient commettre un tel blasphème. J'avais besoin d'entendre Tim mais il me fut impossible de le joindre avant une heure tardive. Sa voix réticente me dissuada de lui parler et quand il me rappela le lendemain, j'entendis derrière lui des bribes de conversation et je renonçai à nouveau. Je me sentais seule : un compagnon distant, une famille éloignée, des collègues insipides, quelques relations superficielles. La seule personne qui semblait me porter un réel intérêt était Issey et il ne me fallut pas plus de quelques jours pour m'abandonner à sa volonté. Je commençai à me détendre et fermai à demi les yeux. Dehors, l'arbre solitaire semblait frissonner bien que le temps fût encore doux. Ce petit jardin en plein Manhattan me semblait miraculeux. Issey m'expliqua qu'il avait une relation vitale avec la nature et qu'en quelque endroit qu'il vive, il aimait féconder la terre. Ce cerisier du Japon, il l'avait planté l'année dernière et il était sa seule compagnie, plus fidèle selon lui qu'une amante. Il aimait en prendre soin, enserrer son tronc souple entre ses bras et caresser ses branches flexibles. L'étrangeté d'Issey ne m'inquiétait plus et je me laissais emporter dans son monde plein de poésie. Je le vis choisir un dessin sur un papier calque dans un grand album et préparer des pigments bruns qu'il mélangea à un liquide blanchâtre. J'avais envie de l'interroger mais je savais qu'il ne me répondrait pas. Il m'avait juste dit qu'il n'utiliserait pas la machine électrique ni les encres modernes. Il préférait la combinaison de substances naturelles et de sucs végétaux et l'emploi d'aiguilles traditionnelles. Quand il eut terminé, Issey appliqua une pommade herbacée sur mon pied qu'il recouvrit d'un pansement et me demanda de revenir le lendemain pour le pied gauche. Je parvins à joindre Tim en fin d'après-midi et nous échangeâmes quelques propos sans importance. Je repoussai à plus tard la nécessité de lui parler de mon tatouage, craignant plus son indifférence que son désaccord. C'est la nuit que la douleur se réveilla : lancinante, taraudante, térébrante. J'occupai mon insomnie à trouver l 'épithète le plus approprié. Pourtant je savais que la douleur ne me ferait pas renoncer. Sans doute m'y habituerai-je et d'autres parties du corps plus charnues seraient-elles moins sensibles. Et puis n'était-ce pas la seule façon de revoir Issey ? de laisser ses mains progresser lentement sur mon corps et effleurer ma peau diaphane qu'il semblait affectionner ? Je pensai que s'il avait commencé par les pieds, c'était moins pour ménager mon éventuelle pudeur que pour le sens qu'il voulait donner au tatouage. La culture occidentale prêtait peu d'intérêt à cette partie de l'anatomie mais l'Orient y situait sur la plante la conjonction de nombreux centres nerveux. Les jours et les semaines passaient et je me rendais chaque soir et chaque week-end chez Issey. L'automne était arrivé et les feuilles du cerisier du Japon étaient de plus en plus clairsemées. La J'eus l'impression de dormir longtemps et lorsque je m'éveillai, je me sentis pleine de jeunesse et de vigueur. Je voulus étirer mes jambes et mes bras mais je m'aperçus que j'étais clouée au sol par de profondes racines et que c'étaient des ramures chargées de fleurs virginales que je tendais vers le ciel. Près de moi, le cerisier du Japon déployait une profusion de corolles fuchsia et ses branches joyeusement agitées par la brise printanière, semblaient se réjouir de ma compagnie. Derrière la fenêtre, une jeune femme nous regardait et je n'eus aucun mal à lire sur les lèvres d'Issey les mots qu'il prononçait : " Cela fait déjà longtemps que j'ai remarqué votre peau du rose tendre des fleurs de pêcher. Je ne pouvais rêver d'une écorce plus fine, d'un vélin plus précieux, d'une soie plus nacrée… "
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